logo fond transparent

PHOTOGRAPHERS IN DANGER

Depuis longtemps j’ai envie d’écrire sur les dérives d’un système qu’on ne contrôle pas et qui tue à petit feu le métier de photographe free-lance. Je vais parler ici de ce qui me concerne – le street style, les photos de mode – avec des exemples et des expériences que je vis au quotidien, à mon niveau. Sans langue de bois, je citerai des noms de médias. Bien sûr, une partie des magazines et marques respectent encore notre métier, mais ce n’est pas toujours le cas.

Mise en contexte: j’ai ouvert ce blog de street style en aout 2010, parallèlement à mes études en école de commerce. La photo était un hobby, la mode un intérêt. Au début amateur, ce blog a su grandir et m’apporter des rencontres et expériences inattendues, mais surtout il m’a donné un avenir. Pendant l’été 2013, à la fin de mon dernier stage, j’ai envoyé beaucoup de CVs en communication dans la mode/la beauté/le luxe, en vain. C’est alors que j’ai reçu un mail qui a changé ma vie: une offre de mission photo rémunérée pendant la Fashion week de Paris. J’ai décidé de me lancer professionnellement en photographie. Statut d’artiste-auteur enregistré, numéro de Siret attribué. Les mails se sont enchainés, je suis devenue correspondante mode pour un journal, et j’ai commencé à diffuser mes photos via une agence de presse photographique française. Je suis très reconnaissante envers ces personnes qui m’ont donné ma chance et qui respectent mon travail.

– Travail gratuit.

Je reçois des mails assez souvent de marques ou magazines pour faire des photos « gratuitement mais avec mention du copyright ». Je n’accepte jamais. Certains photographes le font car ils croient que ça va leur apporter de la visibilité, ou bien parce qu’ils s’imaginent que le mag les paiera la prochaine fois. Ils ne comprennent pas que si tout le monde refusait ce genre de travail gratuit, les mags et marques en face seraient obligés de payer. Tant qu’il y en a un qui acceptera de travailler gratuitement, ce système durera.

Voila un exemple de mail que j’ai reçu le 28 mai 2014: « Je me permets de vous contacter car nous avons un projet pour le magazine en ligne « Collective » du mois de Juin d’Urban Outfitters. Le projet consiste à créer une série de photos qui seront utilisées dans le magazine en ligne et promue sur les réseaux sociaux UO sur toute l’Europe. Bien sûr, le nom du photographe et son site sera mentionné pour crédit. Le projet n’est hélas pas rémunéré mais les photos apparaitront sur le magazine en ligne et seront partagées dans la newsletter ainsi que sur tous les réseaux sociaux de la marque (pour info, le nombre de followers Facebook : Royaume Uni : 519K+, FR : 23K+, Allemagne : 23K+). »

Autre exemple, j’ai contacté plusieurs magazines internationaux pour proposer en direct des photos, et voici une réponse reçue d’Harper’s Bazaar Germany (site web) le 20 aout 2014: « Dear Marie, thank you for your message.I like your work but unfortunately we don’t have any budget for harpersbazaar.de. But if you are willing to shoot some Street Styles for free we can talk about the details. Let me know what you think. »

– Vol de photos.

Sur internet, une photo peut rapidement être achetée dans l’instant qui suit un évènement et faire le tour du monde, mais une photo peut également être volée sans complexe. C’est arrivé à ce photo-journaliste Haïtien qui avait posté des photos du tremblement de terre sur Twitter, et l’AFP et Getty s’étaient précipitées pour récupérer les photos et les vendre sans son accord; ils ont été condamnés.

Pour mon blog, j’ai été obligée de mettre en français et en anglais la mention « Tous droits réservés / All rights reserved » et d’expliquer ce que ça voulait dire, à savoir qu’il est interdit d’enregistrer et de réutiliser mes photos sans mon accord. J’ai d’ailleurs été obligée de rajouter également un copyright en bas de chaque photo car elles étaient repostées sur des blogs, sur Pinterest, sur Instagram ou sur twitter sans mon accord. J’ai pourtant désactivé le clic droit, mais ça n’arrête personne. Et sur instagram, combien d’utilisateurs lambda font des regram sans mentionner de crédit photo? Combien de fashionistas connues que je tague sur mes photos d’elles me « regram » sans mentionner mon crédit photo? J’ai également eu une surprise folle en voyant sur TELVA ma photo de Marine Vacth reprise sur leur site avec en légende un lien vers mon blog. S’ils m’avaient contacté, je leur aurais répondu que je leur vendais la photo. Je leur ai donc envoyé un mail de suite pour leur dire que mes photos n’étaient pas libres de droit, que je les vendais, et que le lien vers mon blog ne me suffisait évidemment pas; j’ai reçu comme réponse: « Hola Marie, no te preocupes, lo entendemos perfectamente y procedemos a retirarla de inmediato, habíamos acreditado y enlazado la imagen a tu website. Recibe un cordial saludo y disculpa las molestias. » (Pour ceux qui ne parlent pas espagnol, TELVA m’a répondu qu’ils effaçaient la photo même s’ils l’avaient créditée avec mon lien de blog).

Pire encore, certains médias pensent que les réseaux sociaux sont des banques de photos libres de droit. C’est évidemment faux. ELLE.fr fait d’ailleurs des articles avec 50 photos prises sur Pinterest et a le culot de mettre « copyright Pinterest » sous chacune d’entre elle. Juqu’au jour où, j’y ai trouvé une des miennes, trouvé sur pinterest. J’ai envoyé une facture de 200 euros qu’ils ont négocié à 150 euros, sans complexe. Il y a également le site RED qui fait des articles entiers sur les différentes fashion weeks en postant des photos street style piquées sur instagram. Faut-il leur rappeler que les photos sur les réseaux sociaux ne sont pas dépourvus de droits d’auteur, et qu’elles ne sont pas là pour être à disposition gratuite en libre service?

– Aucune notion du droit d’auteur de la part des influenceurs, des marques et magasines.

Quand je photographie des blogueurs à titre gratuit (j’y ai toujours trouvé mon compte car je sélectionnais qui je voulais shooter) mais que ceux-ci soit oublient de me mentionner, soient donnent mes photos à des marques ou des magasines, comment vous expliquer à quel point ça me dérange? Les marques repostant des photos d’influenceurs portant leurs produits mais ignorant le photographe derriere ont-elles conscience que c’est un usage commercial dissimulé? Les blogueurs donnant mes photos à des magasines (plusieurs exemples avec AS YOU LIKE) et que le magazine ne contacte pas le photographe pour avoir son autorisation écrite, ça s’appelle de la violation de droits d’auteur. Le blogueur est fautif de donner la photo sans l’accord du photographe mais le magasine est responsable, il ne peut se fier à la parole du blogueur sans voir une cession de droit écrite comme preuve.

– Délai de paiement non respecté.

Les délais de paiement ne sont pas toujours respectés. Il y a parfois plusieurs semaines de retard! Il m’est arrivé d’envoyer 3 mails de relance pour recevoir mon argent; pire encore on m’a déjà demandé de renvoyer ma facture! Est-ce que ces gens-là responsables des paiements se sont déjà imaginés ne pas recevoir leur salaire à la date due?

– Copyright incomplet ou manquant.

Grâce à mon agence de presse, mes photos sont vendues dans plusieurs pays. Mon agence ayant des accords de redistribution avec d’autres agences dans d’autres pays, il m’arrive de retrouver publiées sur internet mes photos créditées du nom d’une agence que je ne connais même pas, mais où est mon nom? Même parfois en France, sur des sites français, dans des magazines français, mon nom n’apparait pas. Pourquoi? J’intègre pourtant mon nom à la légende de la photo, les médias ne peuvent pas le louper. Je me suis rendue compte que c’était purement et simplement du non-respect. Sur Madame Figaro Greece par exemple, ils utilisent depuis plusieurs mois mes photos de fashion weeks, mais ne mettent jamais de copyright (ni nom, ni agence). Je leur ai écrit plusieurs fois des mails, de la rédaction générale à l’auteur des articles, et aussi sur facebook, mais ils m’ignorent. Sur les sites Get-The-Look (et dérivés étrangers) qui achètent mes photos à chaque Fashion Week, seul le copyright de mon agence apparait. Pourquoi? J’insiste parce que c’est la loi de mentionner le nom du photographe et de l’agence, et surtout parce que c’est important pour le photographe afin de construire une réputation et faire grandir son nom dans le milieu.

Tout travail mérite salaire. Un photographe doit se faire payer pour son travail, et ses photos ne doivent pas être volées; elles s’achètent via agence ou directement. Les réseaux sociaux sont pour nous, photographes, un moyen de montrer et partager notre travail avec une communauté d’utilisateurs, mais en aucun cas une vitrine de shopping gratuit pour les médias. Je rappelle aussi que nous investissons beaucoup d’argent dans notre matériel et déplacements, que nous devons payer un loyer et vivre; la vente de nos photos est notre unique salaire.

Et pour mes amis et contacts sur les réseaux sociaux, j’aimerais que vous créditiez les photos que je prends de vous sans que j’ai à vous le demander.

 

2 comments

Comments are closed.